Par Sandra Furlan, créatrice de l’agence MDMA Paris
En toute matière, il y a ce que l’on en fait, ce que l’on en dit, ce que l’on en connait, ce que l’on croit en connaître, les imaginaires préexistants, les images d’Epinal, les clichés persistants ; et il y a tout le reste. Le reste réside précisément dans ce que de nombreux jeunes créateurices en font. Des designers, des artisanes, des artistes, et parfois les trois en même temps, ont désormais l’envie, le besoin et le devoir d’explorer les caractéristiques techniques et esthétiques des ressources à leur disposition.
Parmi eux et elles, Lucile Drouet de l’Atelier Loxiale a choisi de jeter son dévolu sur le liège.
Est-il encore nécessaire d’énoncer les nombreuses qualités de cette matière organique ? Au-delà des notions de circularité et d’éco-responsabilité contemporaines, le liège avait déjà été reconnu pour ses propriétés isolantes (thermiques comme acoustiques et hydrophobes) mais il souffrait depuis une trentaine d’années d’une image désuète, en écho aux tapisseries des années 1970.
Lucile Drouet est tisserande et designer textile. En s’intéressant au liège, elle s’est essentiellement attachée à lui apporter davantage de souplesse par les structures de tissage et d’assemblage. La créatrice, basée dans le Finistère, a également mis au point une technique de teinture pérenne qui lui permet de créer une esthétique nouvelle et des matières vibrantes, qui se patine dans le temps tout en présentant une solidité deux fois plus importante que le cuir. Que ce soit dans la construction-même de ses matières souples, dans leur structure ou dans leur rendu visuel, les revêtements qu’elle a mis en œuvre font le pont entre la matière première et son usage : à mi-chemin entre la structure et la finition, la construction et l’enveloppe.
La feuille de liège, plutôt que d’être appliquée comme matière brute, devient plus noble par l’intervention de l’artisane, transformée grâce à son savoir-faire et à sa sensibilité. Il ne reste qu’à mettre en résonance surface et usage au sein du projet. Cloisonnement, claustra, revêtement de surface, de volume, de mobilier… À chaque projet, l’intervention de Lucile apportera son unicité.
Les tendances, elles, impactent considérablement les filières de production, qui ont plus de mal que le vivant à faire preuve de résilience.
Le chêne-liège est une espèce endémique du bassin méditerranéen et de la côte portugaise en particulier. Pourtant, la dérive climatique transforme déjà la croissance sur les arbres et l’exploitation de l’écorce qui ne se développe plus suffisamment. Alors, de l’autre côté des Pyrénées, la Forêt Modèle de Provence s’applique à mettre le chêne-liège en exergue. Quelques entreprises contribuent au développement de ses usages mais il n’existe pas encore d’entreprise française capable de transformer le liège en feuille. Le secteur de la prescription architecturale a un rôle prépondérant à jouer dans le renouvellement des lieux de vie, certes, mais aussi des modèles, des secteurs ou des modes de production.
L’ensemble des acteurs d’une filière ont besoin des prescripteurs pour construire un nouvel imaginaire et des projets ambitieux qui participeront à la reconstruction d’un écosystème global.
Au sein de l’agence MDMA, nous nous efforçons de provoquer ces émulations en créant des liens entre les concepteurs d’espaces et des pourvoyeurs de savoir-faire méconnus, de matériaux d’exception, de techniques rares. Les architectes et les designers découvrent, par notre intermédiaire, des personnes, au-delà de trouver des solutions. Au travers de toutes nos actions de promotion et de médiation, nous assumons ce rôle d’entremise pour favoriser l’émergence de nouveaux talents et de nouvelles esthétiques. À contrecourant d’une homogénéité esthétique de l’architecture standardisée, nous suscitons la curiosité, l’inédit et le sur-mesure pour chaque projet en utilisant une ingénierie d’approvisionnement et de curation locale, raisonnée et frugale.